Je me documente sur les procès de Bobigny - Article

Modifié par Manuelslibresidf

Relaxée ! Le 11 octobre 1972, Marie-Claire Chevalier, 16 ans, et son avocate, Gisèle Halimi, remportent une première victoire dans le combat pour la légalisation de l’IVG (interruption volontaire de grossesse). La jeune Marie-Claire était jugée par le tribunal pour enfants de Bobigny pour avoir avorté à la suite d’un viol. L’avortement ? L’acte est alors illégal selon l’article 317 du code pénal. À l’époque, plus de 500 femmes sont condamnées pour avortement chaque année. Issue d’un milieu populaire, la jeune Marie-Claire n’avait quasiment aucune chance d’échapper à une condamnation. Sa rencontre avec l’avocate féministe Gisèle Halimi, qui a transformé le tribunal de Bobigny en arène politique, a changé son destin, et celui de toutes les Françaises.

Nos ressources

Notre sélection de documentaires, d’extraits de journaux télévisés et d’émission radiophonique vous permettront d’aborder l’évolution de la place des femmes dans la République, les combats pour leurs droits et l’engagement pour l’égalité, en cours d’histoire et d’EMC, de la classe de 3e à la terminale.

Gisèle Halimi, la voix des femmes

C’est une victoire au goût amer. Certes, Marie-Claire Chevalier ressort libre de la salle d’audience, car les juges considèrent qu’elle a souffert de contraintes d’ordre moral, social, familial, auxquelles elle n’avait pu résister, qui l’ont poussée à interrompre sa grossesse. Mais les quatre femmes qui l’ont soutenue dans son avortement, dont sa mère, restent inculpées pour complicité. L'IVG est toujours illégal. Quant au viol, il n’a alors pas de définition dans le droit français. Le statut de victime de Marie-Claire n’est pas reconnue. Voilà pourquoi, dans cet extrait du 11 octobre 1972 du Journal de 20 heures de l’ORTF, les militantes féministes qui apprennent le verdict entonnent : Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

L’âme de ce procès, c’est Gisèle Halimi. Née en 1927 en Tunisie, alors protectorat français, cette militante féministe a elle-même vécu, à moins de 20 ans, son premier avortement clandestin. Le documentaire Gisèle Halimi, la cause des femmes revient sur son enfance pauvre dans une famille juive traditionnelle où les filles n’ont pas droit à la parole. Devenue avocate dans les années 1950, elle a pris la défense d’indépendantistes algériens, dont une femme, Djamila Boupacha, torturée et violée par des militaires français. Sa vie est une succession de luttes et d’engagements (défense de victimes de viol, combat pour la parité femmes-hommes et en faveur de la laïcité…).

L’opinion publique ébranlée

En 1972, Gisèle Halimi transforme le procès de Bobigny en tribune politique. C’est là tout son génie. L’affaire a été scindée en deux, et Marie-Claire, mineure, a été jugée en octobre à huis clos, loin des caméras. Mais sa mère, Michèle, et trois autres femmes majeures sont jugées en audience publique le 8 novembre 1972. L’avocate interpelle les médias et invite à la barre des personnalités qui dénoncent l’archaïsme de la loi sur l’avortement, qui date de 1920. Se succèdent ainsi le député des Yvelines Michel Rocard, l’intellectuelle féministe Simone de Beauvoir, le prix Nobel de médecine Jacques Monod ou le professeur Paul Milliez, médecin et catholique.

Leurs interventions ébranlent une opinion publique déjà marquée par l’autorisation de la pilule contraceptive par la loi Neuwirth de 1967. Un autre événement, médiatique celui-là, a propulsé le débat sur l’avortement sur le devant de la scène : le 5 avril 1971, la publication d'un manifeste signé par 343 femmes dans Le Nouvel Observateur déclenchait une prise de conscience. Toutes les signataires reconnaissaient avoir eu recours à l'avortement : Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées. (…) Nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre, déclaraient-elles.

Cette piste pédagogique retrace les grandes étapes de la lutte des Françaises pour disposer librement de leur corps. Vous y trouverez un extrait de « Portrait de l’univers », un magazine de vulgarisation scientifique de l’ORTF dont l’épisode présenté ici – diffusé en décembre 1970 – retrace le contexte de l’invention de la pilule contraceptive.

Féministes en lutte

Dans sa plaidoirie, Gisèle Halimi demande au président du tribunal de faire preuve de « courage ». Les quatre prévenues majeures sont condamnées à des peines légères, avec sursis, ou sont relaxées. La voie vers la légalisation de l’avortement est ouverte.

Les associations féministes poursuivent la lutte, interpellant les Français. Dans cette archive du journal télévisé du 9 juin 1974, des militantes du MLF (Mouvement de libération des femmes) appellent à la grève des femmes pour dénoncer la situation qui (leur) est faite dans cette société, dominée par les hommes et capitaliste aussi, affirment-elles. En arrêtant les soins donnés aux enfants, les travaux domestiques et toute activité salariée, en s’abstenant de relations sexuelles, elles espèrent une prise de conscience de leur position de dominées dans la société.

La loi sur l’IVG adoptée en 1974

Mais les Français ne sont pas tous acquis aux idées féministes. En 1974, l’épiscopat se prononce ainsi contre l’avortement. Le 26 novembre de la même année, s’ouvre à l’Assemblée nationale le débat sur un projet de loi autorisant l'IVG (interruption volontaire de grossesse). L’atmosphère est tendue. Simone Veil, ministre de la Santé du gouvernement Chirac, porte courageusement le projet. Elle essuie de viles attaques : on parle de génocide, le député centriste Jean-Marie Daillet évoquant même des embryons jetés au four crématoire. Finalement, le projet est adopté le 20 décembre, par 277 voix contre 192 à l'Assemblée nationale et 185 voix contre 88 au Sénat. Le 17 janvier 1975, la loi est autorisée pour cinq ans. Elle sera rendue définitive par la loi du 31 décembre 1979.

Vous pouvez ici réécouter le discours de Simone Veil lors de l'ouverture des débats sénatoriaux, en décembre 1974.

Ce dossier thématique sur Simone Veil vous permettra d'aborder avec vos élèves les principaux aspects de la vie de cette femme de combat, survivante des camps de concentration, engagée au service de la justice, des droits des femmes, de la santé et de l’Europe.

Cette animation de Mon fil infographie s'adresse aux élèves de cycle 3, mais elle permet de replacer les revendications des militantes féministes des années 1970 dans le long combat des femmes pour l’égalité, de 1900 à nos jours.

Et aujourd’hui ? Le combat continue

Tous les ans, 220 000 avortements en moyenne sont pratiqués en France. Au cours de leur vie, 4 femmes sur 10 connaîtront une IVG. Ce documentaire audio de l’émission Grand reportage, diffusé sur RFI en 2014, suit plusieurs femmes dans des locaux de l’association militante du Mouvement français pour le planning familial, dans le 13e arrondissement de Paris. La journaliste revient aussi sur les évolutions intervenues dans la loi depuis 1975 (remboursement de l'IVG en 1982, création du délit d’entrave en 1993).

De nos jours, le droit à l’avortement est-il menacé ? Le reportage audio de RFI rappelle que les anti-IVG représentent moins de 3 % de la population française. Mais les lobbies conservateurs sont très mobilisés dans le monde entier. En juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a remis en cause l’avortement en rendant chaque État libre de l’interdire sur son sol. En septembre 2022, la victoire aux élections législatives de Giorgia Meloni, candidate du parti d'extrême-droite Fratelli d'Italia ouvertement opposée à l'IVG, fait craindre un retour en arrière. En Hongrie et en Pologne, des poussées de conservatisme sapent aussi le droit des femmes à disposer de leur corps. Et imposent la vigilance. « N’oubliez jamais qu’il suffirait d’une crise politique, économique ou religieuse pour que le droit des femmes soit remis en question », avertissait Simone de Beauvoir. En réaction à ces reculs du droit à l'IVG dans le monde, le Sénat français a adopté le 1er février 2023 une proposition de loi déposée par la députée Mathilde Panot prévoyant d'inscrire dans la Constitution la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/francais-seconde ou directement le fichier ZIP
Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0